Dominique Noguez
> Principes (rappel) : sans confrontation point de tangence.
Au fil de cette série de spectacles, nous proposons à des artistes ou des penseurs bien réels venant d'horizons divers d'être l'élément moteur dans l'élaboration d'une proposition théâtrale, entre autobiographie et autofiction.
Une bulle gonflable transparente est donnée comme espace de création, à la fois cocon, loupe, lieu de projection physique et mentale. À chacun de trouver une forme cohérente, un type de relation au public, pour faire partager les expériences qui l'ont constitué en tant qu'artiste. Au fil des rencontres, nous fabriquons, de notre côté, un prototype d'artiste tangent. Ce personnage récurrent inscrit son parcours fictif dans les différentes biographies dont il se nourrit.
> Tranche n°1, "Boris Lehman, le narcissisme à plusieurs."
Boris Lehman, cinéaste presque belge né à Lausanne en 1944, pianiste et piéton, projectionniste et prestidigitateur, acteur et champion de golf, Boris Lehman a réalisé, produit et diffusé de façon artisanale environ 400 films : courts et longs métrages, documentaires, fictions, essais, autobiographies, journaux ; parmi eux Babel, lettre à mes amis restés en Belgique, parties 1 et 2 réalisées entre 1983 et 1991, Mes entretiens filmés (1996), Histoire de ma vie racontée par mes photographies (2001). « Travaillant à l'ombre des grandes compagnies, timide, discret et solitaire, Boris Lehman revendique un retour aux origines, un art brut, pauvre, primitif. » Laurent Baes (Le bulletin libre, 1992)
Pourquoi filmez-vous ?
Libération, numéro hors série (mai 1987)
700 cinéastes du monde entier répondent
deux belges seulement: Chantal Akerman et Boris Lehman
La réponse de Boris Lehman:
"Pourquoi je fais du cinéma? Je n'en sais trop rien, mais je pourrais peut-être essayer de raconter comment j'y suis arrivé. mon père voulait que je sois médecin, mais je n'ai jamais pu supporter la vue du sang. A l'école, d'avoir été obligé d'assister à la dissection d'une grenouille au cours de biologie, je suis devenu malade. et lorsqu'un jour, j'ai vu de près une circoncision, je suis tombé dans les pommes. Peut-être m'étais-je déjà réfugié inconsciemment dans mes rêves. Quand j'ai commencé à jouer du piano,
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Je filme parce que je suis un voyeur. Parce que je vois ce que les autres ne voient pas. Parce que je passe là où personne ne passe. Parce que je veux montrer ce que je ne peux pas voir. Contre le réel difficile à atteindre, je me construis des espaces imaginaires.
Je filme pour répondre aux questions. Je filme pour oser, pour produire, pour provoquer, pour faire l'enfant que je ne fais pas. Faire du cinéma, comme le Pickpocket de Bresson, pour arriver jusqu'à l'être aimé. Filmer pour aimer et être aimé parce que la caméra vient se mettre entre l'autre et moi et qu'elle protège aussi bien l'un que l'autre, qu'elle désinhibe, qu'elle permet les audaces et les insultes, les tendresses et les déclarations d'amour, parce qu'elle révèle l'invisible, le caché et l'enfoui, qu'elle permet tout, de rêver à haute voix, de rendre possible l'impossible.
Pourquoi je fais des films?
Aujourd'hui je ne peux plus faire autrement mais ce n'est pas une drogue, c'est mon oxygène, ça me permet d'être moi, d'exister, oui , le cinéma est une thérapie. Ce n'est pas en vain que j'ai travaillé dix sept ans dans un centre de santé mentale, animant un atelier de cinéma avec des malades mentaux.
Pourquoi je filme?
1.Exorciser
2.mémoriser
3.Me voir en regardant les autres
4.Avoir une relation (un lien) au monde
5.Etre moi-même, exister, devenir quelqu'un, on n'est jamais sûr de l'être.
On m'a dit bien souvent: "Boris, tu ne sais pas ce que tu veux".
Je n'ai jamais eu aucun message à délivrer. Aucun discours à dire. Le cinéma pour moi n'a jamais été une question de sujet ni même de forme. (Les questions que se posent la plupart des cinéastes: qu'est ce que je vais bien filmer? Quel scénario, quelle histoire, quel livre, etc? Et puis comment?)
Pour moi c'est simple, c'est une question de vie et de mort.
Une façon de voir, une façon de vivre.
Filmer, vivre, filmer.
Je me suis d'ailleurs empêtré là dedans au point que dans Babel je n'arrive plus à séparer mon film de ma vie. L'un est l'autre. Le cinéma est zen.
Pourquoi je filme?
Cette question je ne me la suis jamais posée pour moi-même, alors que ne me la pose continuellement pour les autres. Parce que pour moi la réponse est évidente.Je fais du cinéma. Je le fais parce que je le fais. Je le fais parce que je le suis. Et pourtant chaque fois que je vois le film d'un autre, je me demande: pourquoi il fait du cinéma celui-là?
Il y a un millions de raison d'en faire. Bonnes ou mauvaises, peu importe. Il y a les cinéastes du dimanche et il y a les cinéastes de la semaine. Il y a les officiels et les marginaux, les grands et les petits, les vrais et les faux, tous font des films, certains en vivent. Dans quelle catégorie se mettre?
Pour ma part, je suis cinéaste à plein temps, à 100%. sans sécurité sociale et sans chômage. Sans droit d'auteur. Ni professeur ni fonctionnaire ni animateur ni journaliste ni photographe ni secrétaire, bien que je fasse souvent tout le travail de ceux là. Je filme tout le temps et ça me prend beaucoup de temps, tout mon temps. Même sans caméra je filme. Pas de répit pour un artiste. J'erre dans le cinéma comme un autiste, je tourne, tourne autour de moi-même jusqu'à ce que quelqu'un remarque mon trajet fou.
Sans cinéma, je mourrais, je deviendrais fou."
À propos de Boris Lehman: Site officiel
A- Boris Lehman dans l’installation (SN 61, Nov. 2012) ©Association Arsène
B- Boris Lehman avec son masque Rose Belle Haleine (SN 61, Nov. 2012)
©Association Arsène
C- Arrivée ©Boris Lehman
D- L'Ananas ©Boris Lehman
Extrait de "Nous ne pouvons connaître le goût de l'ananas par le récit des voyageurs, tranche 1" :
(Boris ayant déclaré ne plus vouloir être nommé, Michel tient en main 2 raquettes de ping pong, sur celle de gauche (main droite) est écrit Boris et sur celle de droite (main gauche) Lehman; il les lève face au public chaque fois que le nom de Boris est en gras dans le texte)
MICHEL : Voilà ce que j'ai trouvé sur ton site : Boris Lehman cinéaste belge né à Lausanne le 3 mars 1944… (On pourrait t'appeler Boris Léman?) On parle pas de tes parents et de tes 5 frères ? Tu est le combien-tième ?
B. LEHMAN : … j'ai deux frères plus jeunes que moi...
MICHEL : Après des études de piano, il se consacre, dès l'adolescence, à la photographie et au cinéma. Cinéphile précoce, il collabore, depuis 1960, comme critique à de nombreuses revues (de cinéma) spécialisées. Il est diplômé de l'Institut national supérieur des arts du spectacle de Bruxelles…
B. LEHMAN : L'Insas … Premier étudiant à rentrer dans l'école…
C : Première promotion ?
B. LEHMAN : Non premier à passer la porte
MICHEL : C'était en quelle année ?
B. LEHMAN :…
MICHEL : De 1965 à 1983, il est animateur au Club Antonin Artaud, centre de réadaptation pour malades mentaux. Il y utilise le cinéma comme outil thérapeutique.
En parallèle, il entame un travail cinématographique hors des standards commerciaux, Il en résultera une œuvre fleuve comptant, à ce jour, plus de 300 films (courts et longs, documentaires et fictions, essais et expérimentations, journaux, autobiographies…), et quelque 300 000 photographies.
B. LEHMAN : Des fois on trouve 400 films
MICHEL : Il est aussi ou a été dessinateur, pianiste, professeur de tennis et champion de golf. Mais il ne sait ni ne veut conduire de voiture. C'est un piéton.
B. LEHMAN : J'ai aussi fait de la mobylette…
MICHEL : Malgré une large diffusion de certains de ses derniers films dans tous les grands festivals, et des rétrospectives organisées dans les cinémathèques, son œuvre reste en grande partie méconnue.
Boris Lehman revendique un retour aux origines, un art brut, pauvre, primitif. Il a réalisé, produit et diffusé tous ses films de façon artisanale depuis 45 ans (des films, courts et longs, documentaires et fictions, essais et expérimentations, journaux, autobiographies...), principalement en 8, super 8 et en 16 mm.
B. LEHMAN : Mon vrai œuvre, c'est chez moi ; les films, les vestes, c'est des fragments, ce n'est plus moi parce que tu les as sortis de chez moi.
MICHEL : Boris Lehman compte parmi les cinéastes les plus personnels et les plus obstinés de Belgique.
B. LEHMAN : Je ne me sens pas cinéma belge moi, c'est une appellation… qui me pèse… cinéma juif, cinéma belge, cinéma de fou… on me met des étiquettes… le juif errant, j'entretiens peut-être un peu tout ça aussi c'est vrai… j'ai écrit un article où j'ai mis juif belge et fou, trois tares.
IKS: Comme Samy Davis Junior, noir borgne et juif... vous êtes à égalité.
MICHEL : J'ai aussi trouvé sur le site de ta fondation, je crois : Le plus audacieux et le plus prolifique des cinéastes de Belgique. Acteur, réalisateur, producteur et distributeur, Boris Lehman incarne l'image du créateur qui survit en marge de l'industrie et ses films participent à la captation urgente et prenante de ce qu'est une vie de cinéaste.
Tu aurais préféré ?
B. LEHMAN : Tout ça c'est des éloges, qu'est-ce que tu veux dire… mais les critiques négatives, (je ne les ai pas mises sur mon site) il y en a aussi (rires)… Boris Lehman et « sa besace prolétarienne »…